Lundi 28 Avril vers 16h. Il est passé de l'autre côté, là où il y a ou il n'y a pas on ne sait quoi.
Il avait été victime d'un grave accident vasculaire cérébral ces dernières semaines, avait commencé à se battre pour récupérer, mais sa santé s'est à nouveau
détériorée.
Il nous a quittés, il était hospitalisé, à Nantes. Il a vécu les dernières années de sa vie en compagnie d'amour avec Danielle, une amie de ma
maman.
J'écris ce soir, j'ai tout d'abord écouté "The Last farewell", de Camel. Musique qui pour moi souligne bien un départ. Dernier morceau de l'album "NUDE", il
illustre le départ d'un homme seul dans son bateau, vers l'horizon.
Jean-Marie GUINARD est la personne qui m'a appris à ranger et nettoyer mes outils une fois la tâche finie. Il a été le témoin d'Edith lors de notre
mariage.
Il avait les cheveux blancs, les yeux bleus derrière des lunettes à forts foyers.
Il adorait raconter des histoires, il en avait plein les poches de ses pantalons ou de ses shorts. il a perdu des amis un peu tout au long de sa vie, s'en est
visiblement fait d'autres aussi.
Il a été compagnon de jeu de Juliette Gréco dans les Ardennes, quand il était môme.
Il a été officier dans l'Arme Blindée Cavalerie. A ce titre, il a participé au débarquement de Suez, à la guerre d'indochine, où il a miraculeusement échappé
à la mort, mais pas aux blessures par obus.
Il a été condamné par des médecins qui lui ont dit qu'il ne pourrait plus remarcher. Je l'ai toujours connu debout, il a fait mentir les carabins.
Il était passé par le conservatoire des Arts et Métiers, savait monter une maison de A à Z, il l'avait fait plusieurs fois.
Il était inventeur, des fours à tabac blond qu'il a montés et commercialisés -avec mon père notamment- fonctionnent encore aujourd'hui, certains ont 25
ans.
Arrête-t-on un four à tabac comme la pendule des maisons des défunts???
Jean-Marie avait eu très faim pendant la guerre. Il volait de la nourriture à la Kommandantür, en Lorraine, là-bas dans l'Est. Un jour, il s’est fait
prendre. 50 ans après, il nous faisait rire en décrivant le coup de bottes au cul qui le fit voler dans l’escalier de l’entrée de la Kommandantür. On ne fusille pas les gosses...
Il racontait qu’il a grandi dans une zone de france où les gosses, lui et ses copains, jouaient avec des vraies munitions, des grenades, des balles, des
flingues découverts dans les innombrables vestiges de la guerre de 14-18.
Ses enfants vont rapporter ses cendres Lundi soir là-bas.
Jean-Marie m’a souvent parlé de son fils qui s’est donné la mort, il y a déjà longtemps. Jean-Marie ne s’en est je crois jamais remis. Je fais le voeu
qu’aujourd’hui ou dans quelques temps il puisse à nouveau le rencontrer, et tourner la page... Est-ce possible une fois qu’on a changé de scène???
J’écoute en ce moment la bande originale du film “La Couleur Pourpre”, composée par Quincy Jones. Je connais cette musique par coeur, je l’écoutais quand je
faisais les trajets en train vers l’université pendant mes études, allers et retours matin et soir, La Roche - Nantes.
Cest le même trajet qu’a fait ma mère souvent ces derniers jours, pour accompagner Jean-Marie, un ami de plus de 20 ans. Et pour accompagner Danielle, elle
aussi amie depuis encore plus longtemps.
Papa a été lui aussi le voir. Ils étaient amis, ont énormément travaillé ensemble, sur des tas de gravats, dans la poussière, dedans, dehors, par tous les
temps. Potes de chantier.
Papa admirait les savoirs et savoi-faires de Jean-Marie, Jean-Marie pouvait compter sur Papa pour qu’à deux ce soit plus facile que tout seul. J’ai dit plus
haut que c’est cet homme qui m’a appris à ranger avant de quitter le chantier.
Il avait beaucoup beaucoup combattu la matière, mais pas seulement combattue. Apprivoisée, façonnée, modelée. Avec Papa, ils ont créé une incroyable table à
langer, avec étagère super profonde pour tout le matériel des jeunes parents Edith et alain. Dédé, le papa d’Edith, ébéniste, avait aussi contribué.
Nos deux petits, Simon puis Thomas, ne risquaient pas d’en tomber, côtés surélevés garantis. Et les angles tous arrondis. Merci Jean-Marie, et tes potes de
chantier.
Aujourd’hui, cette ancienne table à langer (Simon a bientôt 20 ans, Thomas vient d’accéder aux 16, et je viens de l’inscrire à la conduite accompagnée)
contient toutes les boîtes d’archives scolaires des deux gars. De la maternelle à aujourd’hui.
Il laisse de nombreuses traces de ces chantiers petits ou gigantesques derrière lui, le Jean-Marie...
Il avait inventé, à Rems, dans une maison, un des premiers systèmes d’aspirateurs intégrés, avant que cela soit à la mode. Famille d’inventeurs, vous
connaissez les “Pompes Guinard”? De sa parenté si je me souviens bien.
Et les bagnoles, il en a aussi cassé un bon paquet, en plus des tanks pendant les combats! Le roi de la cascade, je vous dis!
Il faisait des longues routes, en écoutant parfois de la musique militaire, je e sais pas ce qu’il écoutait d’autre.
Je me souviens qu’il a engueulé ces gradés qui étaient venus lui porter une médaille à l’hôpital quand il était revenu d’Indochine. Il les a envoyés se faire
foutre, révolté face au mépris des petits et la folie des puissants.
Pour moi, c’est une belle décoration, cette absence de médaille.
Il était avec ses parents lors de la débâcle de 1940; je crois savoir qu’il n’avait pas 10 ans, quand il était à la gare de Châlons. Il avait un sac sur le
dos, avec pour mission de veiller dessus coûte que coûte.
Descendu du train en gare pour aller chercher de l’eau, il a vu les Stukas hurler et vomir leur déluge de feu sur la voie ferrée. Enfer et fumée, gravats,
survie? Il n’a pas retrouvé ses parents dans le chaos.
Alors, plutôt que de rester avec les autres marmots, parqués pour aller on ne sait où ensuite, il s’est enfui, avec deux missions; veiller sur le sac à dos,
et essayer de rejoindre l’Ouest de la France. Il se souvenait du nom d’une commune où devaient se rendre ses parents, fuyant les Ardennes nazifiées.
Le gamin, on ne sait comment, a parcouru les centaines de kilomètres à pied, se cachant, rapinant, jusquà atteindre, affamé et épuisé, ses parents qui le
croyaient mort. Il les a rejoints dans cette commune de l’Ouest dont il se rappelait le nom.
Comble de l’histoire: il avait crevé de faim, et une fois arrivé, il a pu relâcher sa veille, et ouvrir le sac. Il contenait un jambon...
Je crois que Jean-Marie était l’aventurier le plus incroyable que j’aie eu l’occasion de cotoyer, on a souvent rigolé ensemble.
On aurait pu se manquer, les guerres, les accidents et les pépins auraient pu l’embarquer bien avant dans le territoire des étoiles. Il a tiré sa révérence
après un parcours réellement extraordinaire.
Je ne l’ai pas beaucoup revu au cours des dernières années, je raconte des souvenirs qui ont presque 10 ans.
Jamais il ne m’a engueulé. On a eu une relation de forte sympathie, mais je suppose que c’est à ma mère et à mon père qu’il va beaucoup manquer. A Danielle
aussi, évidemment.
Je Pense aujourd’hui à ses enfants, ceux qui sont encore vivants, et qui vont l’accompagner vers la dernière demeure.
Je joins aux cendres à venir un grand “merci”, à toi Jean-Marie. Pour ta présence, tes histoires, tes gestes précis d’artiste artisan inventeur génial.
Tu disais que tu avais appris le français avec un instituteur incapable, ce qui expliquait ton effroyable orthographe. Moi, je suis orthophoniste. Et je
trouve que ta manière d’écrire n’était pas maladroite: elle était inventive, elle aussi!
Tu avais pour toi l’imagination, le talent d’un conteur. comme en Afrique, quand un Griot meurt, on dit que c’est une bibliothèque qui brûle... Et bien,
aujourd’hui, c’est l’équivalent de la bibliothèque d’Alexandrie et des savoirs des artisans qui vont à Leroy Merlin qui s’est
envolé.
Il adorait voler, très haut, très haut. Il était pilote, aussi! Papa et lui avaient ça en commun. Je crois bien que Jean-Marie faisait de la voltige...
Les Amérindiens disent que tant qu’une personne pense à un homme ou une femme qui est passée de vie à trépas, l’esprit de cette personne est encore présent
parmi nous.
Tant que je vivrai, ton Esprit sera alors parmi nous? J’espère vérifier cela en en parlant avec toi, quand sera venue mon heure de te rejoindre. Et je fais le
voeu que l’on rigole encore!!!
Le dernier morceau que j'écoute: Heaven Belongs to You... Beau Clin d'Oeil, non??? “Le Paradis t’appartient”...
Bon voyage, Jean-Marie.
Alain, 23h23, Mercredi 28 Avril 2010